"Permis de Brive" et gaz de houille
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La demande de Permis d’explorer dit "de Brive" : préambule.
La Société Hexagon a introduit une demande d’exploration sur 1777 km² qui concerne les départements de Corrèze, Lot et Dordogne. Bouzic n’est pas inclus dans le périmètre de la demande mais la limite ne passe pas loin, puisque Saint Pompon et Campagnac sont concernés.
Cette demande a été initialement introduite le 20 septembre 2010 et concerne un permis exclusif de recherche pour tout hydrocarbure liquide ou gazeux. Autrement dit pétrole et gaz conventionnels et non-conventionnels et à l’exclusion de tout type de charbon. Cliquez pour le document original :
Suite à la loi de juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, le 4 août 2011, le gouvernement a interrogé les diverses sociétés ayant introduit une demande de permis au sujet de l’utilisation de la fracturation hydraulique.
Le 7 novembre 2011, Hexagon a répondu qu’ils étaient convaincu que dans la zone concernée ils n’auraient pas besoin de la fracturation hydraulique pour l’exploitation du gaz de houille et qu’ils utiliseraient des techniques alternatives comme les forages horizontaux multi-latéraux, s’engageant à ne pas utiliser la fracturation hydraulique. Cliquez pour le document original :
Ceci étant crédible, le gouvernement a poursuivi la procédure en demandant à la DREAL de vérifier la demande du point de vue de la forme. La réponse fut positive et le gouvernement a publié la mise en concurrence européenne, processus obligatoire, le 26 février 2013 et dure trois mois.
C’est à ce stade que nous en sommes au moment de la mise en ligne de cet article, en mai 2013.
La suite de la procédure évaluera le fond de la demande suivant une procédure décrite par exemple sur le site de Germinal Peiro : Le permis de Brive : où en est la procédure ? (mars 2013)
- Depuis le causse de Martel, vue vers Brive la Gaillarde.
Les points principaux de la demande de permis de recherche exclusive de Brive (ci-après appelé en résumé "Permis de Brive", pour suivre l’usage même si Demande de Brive aurait été plus juste) :
- Le permis est demandé pour 5 ans ;
- La surface de la demande s’étend sur 1777 km² sur les départements de la Corrèze, du Lot et de la Dordogne ;
- La demande concerne tous les hydrocarbures liquides ou gazeux ;
- Budget pour les 5 ans : 500 000 € (56 € /km²/an).
- Le calendrier prévoit :
An 1 : synthèse des données géologiques et sismiques existantes ;
An 2 : forage d’exploration de minimum 750 m de profondeur ;
An 3 : acquisition de min. 50 km de données sismiques 2D ;
Avant la fin de l’an 5 : forage d’exploration de minimum 1000 m de profondeur ;- Hexagon s’est engagée à ne pas utiliser la fracturation hydraulique ;
- Les dirigeants d’Hexagon ont une expertise combinée de 75 ans de travail dans les domaines conventionnels et non conventionnels d’exploration et de production d’hydrocarbures, notamment dans le domaine du gaz naturel de charbon.
- La demande comporte une série d’annexes explicatives non publiques.
Qu’est-ce que tout cela veut dire, pourquoi n’est-il pas question de gaz de schiste, qu’est-ce que le gaz de houille, qu’est-ce que ce dernier implique ? Où peut-on en trouver ?
Cet article va tenter d’y répondre essentiellement par la géologie, qui est évidemment fondamentale dans cette problématique.
Le permis de Brive : quel périmètre ?
La forme du permis de Brive est irrégulière et les sommets de cette forme complexe est fournie par le tableau de latitudes et longitudes suivant :
- Coordonnées fournies par Hexagon pour sa demande de Brive
Mais attention, n’introduisez pas ces coordonnées dans votre GPS ! Elles sont fournies en grades (un angle droit fait 90° mais 100 grades, qui sont en fait plus logiques, étant en base 10 mais sont peu utilisés dans la vie courante) et par rapport au méridien de Paris alors qu’actuellement les latitudes et longitudes se donnent en degrés et par rapport au méridien de Greenwich. La raison est que le code minier remonte à Napoléon pour qui il était inconcevable de se référer à un village anglais !
Pour obtenir des coordonnées aisément utilisables, il faut donc (1) transformer les grades en degrés (de petits logiciels existent comme par exemple Juggler et (2) Le méridien de Paris étant 2°24’14’’ à l’est de Greenwich, ajouter ou retrancher cette valeur (selon que la longitude est à l’est ou à l’ouest de Paris et /ou Greenwich) aux valeurs de longitude (les latitudes ne changent pas, c’est toujours à partir de l’équateur). Dans notre cas, il faut retrancher des degrés ouest de Paris la valeur de 2°24’14’’. Ce qui nous donne :
Sommet | Longitude Est | Latitude Nord |
---|---|---|
A | 0°59’14’’ | 45°10’48’’ |
B | 1°37’02’’ | 45°10’48’’ |
C | 1°37’02’’ | 45°05’24’’ |
D | 1°42’27’’ | 45°05’24’’ |
E | 1°42’27’’ | 45°00’00’’ |
F | 1°47’50’’ | 45°00’00’’ |
G | 1°47’50’’ | 44°54’35’’ |
H | 1°10’02’’ | 44°54’35’’ |
I | 1°10’02’’ | 44°38’24’’ |
J | 0°59’14’’ | 44°38’24’’ |
K | 0°59’14’’ | 44°54’35’’ |
L | 1°10’02’’ | 44°54’35’’ |
M | 1°10’02’’ | 45°00’00’’ |
N | 1°15’26’’ | 45°00’00’’ |
O | 1°15’26’’ | 45°05’24’’ |
P | 0°59’14’’ | 45°05’24’’ |
Ces valeurs peuvent être reportées dans un GPS ou Google Earth, par exemple.
Avec ces valeurs, il est également possible de vérifier une position avec précision sur une carte IGN par exemple.
Sur Google Earth, les sommets se présentent ainsi :
- Les sommets de la demande de Brive sur la photo satellite de Google Earth
Sur une carte régionale, le résultat est le suivant :
- Surface considérée pour la demande de Brive
Mais pourquoi un polygone à 16 sommets pour cette demande de permis ? Pourquoi une surface si compliquée ?
Seul Hexagon pourrait répondre parfaitement à cette question mais nous pouvons néanmoins avancer trois raisons probables :
1) L’existence de la demande du Permis de Cahors au moment de cette demande (2010), entrer en concurrence aurait compliqué la situation ;
2) La volonté de ne pas entrer en conflit avec les Préhistoriens et l’ensemble du monde culturel explique plus que probablement l’évitement de la zone "Les Eyzies - Lascaux" (figure ci-dessus, zones entourées d’un cercle en pointillé entre les pôles K, L, M, N, O, P et ce rentrant à l’ouest ;
3) La structure géologique de la région.
C’est ce dernier point que nous allons développer.
La structure géologique régionale
L’ensemble de la structure géologique du Quercy et régions avoisinantes a été développé dans le cadre de deux articles, "Le gaz de schistes : la situation en Périgord Noir - Quercy jurassique" et "Le gaz de schistes : le cas du Périgord-Quercy permo-carbonifère" auxquels le lecteur peut se référer pour plus de détails, seul les points concernant la géologie de la demande de Brive seront traités ici.
Les terrains qui nous occupent ici sont formés de roches sédimentaires, c’est-à-dire qui se sont déposées ou formées dans des mers ou des lacs. Ces roches ont des âges allant de la fin du Carbonifère au Jurassique, en passant par le Permien et le Trias, d’un peu plus de 300 millions d’années (Ma) à 150 Ma. Ces époques sont subdivisées en étages qui durent chacun quelques millions d’années. Ils sont repris dans la figure suivante.
- Echelle géologique (2010) du Carbonifère au Jurassique.
Quelques anciens noms figurant souvent sur les cartes géologiques régionales sont également indiqués à droite sur fond jaune.
La région des causses qui nous occupe, en Dordogne, en Corrèze , dans le Lot, est en fait un ancien bassin d’effondrement (appelé graben) ayant débuté à la fin du Carbonifère et qui s’est fortement développé au Permien. Ensuite, au Trias et au Jurassique, l’effondrement s’est fortement ralenti et la région était une mer peu profonde séparé de la mer ouverte par un seuil, lui conférant un environnement particulier. Une coupe du graben du Quercy, atteignant une profondeur de 5000 mètres en son centre, est présentée ci-dessous. Cette coupe est basée sur des données sismiques.
- Coupe du causse de Gramat basée sur les données sismiques.
La fin du Carbonifère (le Gzhélien, ex-Stéphanien) : du charbon (et du grisou) !
Les sédiments les plus anciens de la région datent donc du Ghzélien (ancien Stéphanien), dernier étage du Carbonifère. Ils se sont formés à la fin de l’orogenèse (formation de montagnes) varisque dont les roches, granites et gneiss, sont visibles dans le Massif Central. Ces montagnes sont la conséquence de la formation, il y a 300 Ma, d’un supercontinent, la Pangée, à partir de la collision d’une série de microcontinents (en anglais terranes). L’Europe occidentale, y compris la France, est formée d’une série de ces anciens microcontinents.
- Reconstitution paléogéographique du Ghzélien (extrait de Stampfli & Borel, 2004) montrant les nombreux terranes en Europe occidentale, la proximité de l’équateur et la proximité de l’océan Paléotéthys.
Cet événement collisionnel majeur a été suivi par une période post-collisionnelle caractérisée par de mouvements horizontaux, d’abord transpressifs (compression) puis transtensifs (extension) dans le cadre d’une relaxation générale. Ces mouvements ont engendré une série de bassins intramontagneux dans lesquels se sont déposés les sédiments gzhéliens, régulièrement de granulométrie grossière comme des conglomérats.
- Bassin ghzélien (stéphanien) d’Argentat formé à la fin de l’orogenèse varisque en conditions transpressives (d’après Genna et al., 1998).
- Conglomérat ghzélien au sud-est de Brive
Comme ces bassins étaient confinés, peu profonds et que le climat en France à ce moment était très chaud et humide, des forêt luxuriantes s’y sont développées avec les célèbres fougères arborescentes.
- Forêt luxuriante du Carbonifère.
Il y avait peu d’épaisseur d’eau dans ces bassins même s’ils s’approfondissaient rapidement, car l’érosion rapide des montagnes avoisinantes les remplissaient rapidement. Les périodes d’effondrement plus rapides pouvaient induire l’ensevelissement de forêts opulentes.
Cette conjonction de conditions ont permis l’enfouissement rapide de grandes quantité de matière organique en particulier ligneuse qui s’est progressivement transformée en charbon. L’accumulation de charbon au Carbonifère et au Permien a été d’autant plus forte que les bactéries et champignons capables de décomposer la lignine étaient encore peu abondant, se développant surtout à partir du Trias. La formation de charbon est toujours accompagnée de la formation de gaz, appelé par les mineurs le grisou et responsable dans le passé de catastrophes dans les charbonnages.
- Explosion de grisou dans une mine de charbon (Courrière, 1906)
Le Permien : le graben du Quercy
Au Permien, à partir de 299 Ma et pendant probablement 40 millions d’années, un fossé important s’est formé au contact de deux anciens micro-continents varisques, le Massif Central à l’est et Sud Armorique - Maures à l’ouest. Ce fossé (graben), s’est rempli progressivement avec les sédiments provenant de l’érosion du Massif Central qui formait encore des montagnes à l’époque.
- Le rift du Quercy qui s’est développé sur le long de limite des terranes du Massif Central et Sud-Amorique mais au sein de ce dernier.
Ces roches sédimentaires détritiques (de detritus, débris) terrigènes (formées à partir de la destruction d’autres roches), vu le climat chaud et la richesse en fer de ces sédiments, sont souvent fortement rougis : ce sont les grès et schistes rouges du bassin de Brive et de Meyssac, bien visible également à Collonges la Rouge.
- L’église St Pierre de Collonges la Rouge est construite en grès rouge permien.
La transition du Carbonifère vers le Permien a été progressif et la base de ce dernier peut contenir de la matière organique mais rapidement le Permien devient très pauvre en vie voire azoïque (sans trace de vie).
Avec peu de fossiles, voire sans fossile, la stratigraphie du Permien est difficile mais il semble acquis qu’il n’y a pas dans la région de Permien supérieur, indiquant la fin de l’effondrement et la mise à la surface du Permien déposé.
Le Trias : une brève reprise des conditions permiennes
La sédimentation reprend au Trias vers 240-245 Ma (Anisien) avec des roche similaires à celles du Permien mais d’épaisseur beaucoup plus faible, avec quelques centaines de mètres maximum au lieu de plusieurs milliers de mètres.
Ce sont essentiellement des grès, blanchâtres ou roses avec des passées argileuses. Quelques niveaux charbonneux sont connus et la présence de dolomie indique que le Jurassique va suivre.
Au Trias, les grands reliefs varisques ont disparu et le paysage est peu accidenté.
- Paysage et faune du Trias avec peu de relief (dessin Caren Carr).
Le début du Jurassique (Hettangien) : des conditions extrêmes, les évaporites
Au début du Jurassique, les conditions deviennent extrêmes : le bras de mer du Quercy, qui suit le graben du même nom, se retrouve régulièrement isolé de l’océan. Sa faible profondeur d’eau et le climat très chaud fond que l’eau s’évapore et que les sels se concentrent, comme dans la Mer Morte actuellement.
A partir d’une certaine concentration dans l’eau, un sel précipite et forme un solide, une roche, que l’on appelle une évaporite. Au début du Jurassique, la mer quercynoise est devenue un grand marais salant.
- Des évaporites (halite, NaCl) en formation à la mer morte.
Mais le sel qui précipite n’est pas toujours NaCl, le sel de la mer, également le sel de cuisine. Il y a dans l’eau de mer, en particulier celle proche des continents, des éléments chimiques qui peuvent précipiter quand l’eau s’évapore.
Ils vont précipiter successivement en fonction de leur solubilité. La séquence de cristallisation évaporitique, au fur et à mesure que l’eau se concentre, est classiquement la suivante :
CaCO3 (calcaire) ou CaMg(CO3)2 (dolomie)-> CaSO4 (anhydrite)/CaSO4.2HO (gypse)-> NaCl (halite)-> MgSO4 (magnésite)- Sels de K et Mg
C’est-à-dire des carbonates, des sulfates et des chlorures (on peut également avoir des borates).
- Des niveaux de gypse (CaSO4.2H20) dans la nature ancienne (USA)
- Cristal d’anhydrite (CaSO4)
En effet, l’anhydrite précipite dès que CaSO4 atteint une concentration 3 g/l (à 20°C) alors que la halite précipite seulement quand NaCl atteint une concentration de 391g/l (à 20°C).
En détail, la séquence de précipitation va dépendre de la composition de l’eau de mer qui pourra varier notablement à proximité des continents et a fortiori dans des mers confinées.
Si on évaporait une colonne d’eau de mer de 1000 mètres de haut, on aurait (Rouchy et B,anc-Valleron, 2006) :
- 5 cm de carbonates,
- 50 cm de gypse ou d’anhydrite,
- 12 m de halite
- 2,6 m de sels de K et de Mg
Or, comme on va le voir, dans le Quercy, il y a une épaisseur de 300 mètres d’anhydrite (donc une colonne d’eau de mer de 600 km de haut serait nécessaire !). Il faut donc évaporer une quantité considérable d’eau de mer, même si elle est particulièrement riche en sulfates et en calcium. Ceci implique qu’il faut un système de recharge de la mer confinée (lagune) via un haut-fond régulièrement recouvert par des arrivées de la mer ouverte, une évaporation intense pendant une longue période de temps.
- Bassin évaporitique avec les principaux facteurs controllant la sédimentation évaporitique
- Remarquez que le niveau d’eau est plus bas dans le bassin évaporitique
Quelle importance ces évaporites pour le problème qui nous occupe ?
Leur importance réside dans le fait qu’elles sont imperméables , très ductiles ("molles") et qu’elles peuvent être dissoutes par l’eau jusqu’à saturation.
- Diapir de sel créant des pièges pour les hydrocarbures (de la Boisse, 2005).
- Imperméables : cela signifie que les évaporites peuvent constituer des niveaux infranchissables pour les hydrocarbures liquides et gazeux et donc constituer des pièges. Les évaporites intéressent donc les pétroliers ;
- Ductiles : les évaporites fluent aisément sous des contraintes même faible, en particulier le sel (NaCl) qui peut former de diapirs (dômes). Par ailleurs, les évaporites recristallisent facilement, ce qui signifie qu’en cas de plissements ou de failles, elles pourront se reconstituer et rester imperméables, dans une certaine mesure bien sûr. Elles intéressent donc d’autant plus les pétroliers dans le cadre des gisements conventionnels.
- Un dépôt de gypse (sulfate de calcium hydraté, CaSO4.2H2O) montrant le caractère ductile des évaporites.
- Solubles : si une suffisamment grande quantité d’eau passe sur les évaporites, elles peuvent se dissoudre et disparaître. Les conséquences seront d’abord des eaux salées et ensuite de possibles effondrements en profondeur engendrant des brèches. A ce moment, les zones évaporitiques étanches laissent place à des zones de circulation pour l’eau ou tout autre fluide.
C’est le cas dans l’est des causses du Quercy où les évaporites ont été dissoutes et ont disparus. Elles sont remplacées par des niveaux de brèches. Le contact entre la zone orientale sans évaporite et la zone occidentale avec évaporites se localisent dans la région de Padirac où il y a une faille importante. Le long de cette faille de Padirac, les eaux sont en train de dissoudre l’anhydrite et les sources sont sulfatées. Ces eaux riches en sels sont à l’origine de la station thermale de Miers-Alvignac et de l’eau minérale du même nom. Les deux activités sont actuellement abandonnées mais des projets de remise en route (pour l’eau en particulier) sont en cours. La source de Miers-Alvignac, la source salmière contient près de 3000 mg/l de sulfates.
- La Source Salmière à Miers-Alvignac, sur le causse de Gramat, riche en sulfates, en conséquence de la dissolution d’anhydrite hettangienne.
La majeure partie du Jurassique : une alternance de calcaires et de marnes.
Par la suite, au Jurassique, entre 200 et 150 millions d’années, la mer intérieure quercynoise va bénéficier d’un climat raisonnablement chaud permettant la formation de calcaire. Les arrivées de matériel en provenance du continent (des argiles) seront intermittents. Il s’ensuit une alternance de dépôts calcaires et de dépôts marneux (calcaire + argiles).
- Alternance de calcaires et de marnes pliensbachiens dans la région de Turenne
- Une ammonite du Pliensbachien (Amaltheus margaritatus)
Ces deux types de roches sont fondamentalement différentes : les calcaires sont attaqués par l’eau qui les dissout et crée fissures, grottes et chenaux qui peuvent être suivis par l’eau. Les calcaires sont donc des aquifères (nappes phréatiques) potentiels.
Au contraire, les marnes sont globalement imperméables et constituent des barrières pour l’eau. En Quercy, les marnes constituent les limites des aquifères.
Elles peuvent de surcroît être riche en matières organiques et être des roches-mères pour le gaz. Ces marnes sont dans ce cas classées comme schistes et l’expression "gaz de schistes" (et non gaz de marnes, qui serait plus rigoureux) est utilisée par souci de simplification. C’est le cas des marnes toarciennes (âge : vers 180 Ma) qui sont riches en matières organiques à l’est du graben du Quercy là où elles affleurent. Elles pourraient donc contenir du gaz en profondeur au centre et à l’ouest si elles ont, à un moment de leur évolution, été enfouies suffisamment pour transformer cette matière organique en gaz.
- Des marnes du Toarcien riches en matières organiques (près de Turenne)
Par contre, à l’air libre, les marnes, plus friables de par leur composante argileuse, s’érodent plus vite que les calcaires, plus massifs. Il y aura donc souvent un contraste de relief entre marnes, en creux et affleurant souvent mal, et calcaires en relief.
Par exemple, à Turenne, au-dessus des marnes toarciennes se trouve du calcaire aalénien. Ce dernier, quoique mince, est en relief par rapport aux marnes présentes dans les vallées herbeuses à l’est. C’est sur de l’Aalénien que le château de Turenne a été construit, ce calcaire formant une butte à cet endroit.
- Le château de Turenne a été construit sur du calcaire aalénien faisant relief par rapport aux marnes toarciennes.
A la fin du Jurassique, la mer se retire du Périgord et du Quercy. Le Tithonien, dernier étage du Jurassique, est d’ailleurs caractérisé par des faciès de plage avec des fentes de dessication ou la trace de gouttes de pluie, structures que l’on peut observer à Bouzic (si l’on est attentif).
- Fentes de dessication dans le Tithonien de Bouzic
- Ces fentes se forment quand l’eau s’évapore d’une petite dépression comme actuellement quand une petite mare s’est desséchée.
Dans le Lot, à Crayssac, des traces de dinosaures, en particulier des Ptérosaures, dinosaures volants, y ont été observées. Un musée leur est consacrées à Luzech. Le Jurassique est en effet, avec le Crétacé, l’âge d’or des dinosaures.
- Vue artistique représentant ce qu’a pu être Crayssac (et Bouzic) au Tithonien.
Pour plus d’information sur le Jurassique du Quercy, voir :
"Le gaz de schistes : la situation en Périgord Noir - Quercy jurassique"
Le Crétacé, le Cénozoïque, les karstifications et les causses, effets de la compression pyrénéo-alpine.
A la fin du Jurassique, la mer sest donc retirée du Quercy et du Périgord laissant la région à l’air libre, sans dépôts de sédiments, pendant 50 millions d’années, correspondant au Crétacé inférieur.
Il y a 100 millions d’années, au Crétacé supérieur, la mer revient et dépose des calcaire impurs, chargés en sable en particulier, leur donnant une belle couleur jaune mais les rendant également plus friables. C’est le calcaire de Sarlat, de la Roque-Gageac, d’une grande partie du Périgord Noir.
- Carte géologique du Périgord-Quercy et régions avoisinantes.
- Le Jurassique, correspondant aux causses est en bleu, le long du massif central varisque en rouge, avec entre les deux, l’affleurement de Permien (violet). Le Crétacé (en vert), plus jeune, n’est plus présent qu’à l’ouest, disparaissant de même à l’extrême ouest sous les sédiments encore plus jeunes du Cénozoïque (en jaune).
Géologiquement parlant, le Crétacé est une période calme en Périgord-Quercy. En ce qui concerne la faune, c’est autre chose, tant en mer que sur les zones émergées !
- Le velociraptor, dinosaure de la fin du Crétacé.
- La compression pyrénéo-alpine a fait rejouer les failles normales du graben en failles inverses et a ainsi induit la surrection des causses.
Au Cénozoïque, des sédiments continueront à se déposer mais rapidement, en raison de la compression due à la formation des Pyrénées et des Alpes, la mer s’est retirée du Périgord et du Quercy pour ne plus revenir.
Une autre conséquence de cette compression est l’inversion du graben du Quercy avec surrection des terrains et érosion concomitante. Cette remontée a été plus importante du côté du massif central où, en conséquence, les terrains à la surface sont les plus anciens (le Permien de la région de Brive). Cette surrection a enlevé Cénozoïque et Crétacé sur la plus grande partie du graben qui délivre à la surface le Jurassique. Le caractère compact des calcaires jurassiques font qu’ils résistent bien à l’érosion et font relief, ce sont les causses.
Plus à l’ouest, les calcaires impurs du Crétacé s’altèrent beaucoup plus, ce qui donne les sols plus épais et plus fertiles du Périgord.
A certaines périodes, comme il y a 30 millions d’années, le climat était chaud et humide, ce qui a permis de dissoudre efficacement le calcaire. Il s’agit de périodes de karstification.
- Coupe schématique au travers d’un karst (Université Inter Ages du Dauphiné, UIAD). Le niveau de base est un niveau imperméable, un niveau marneux en Quercy-Périgord, comme le Toarcien. A comparer avec la photo suivante.
- Une coupe dans le Tithonien entre Gourdon et Bouzic représentant, sur une vingtaine de mètres de haut, un karst miniature avec dissolutions verticales, horizontales, effondrements, etc. A comparer avec la figure précédente.
Comment se situe le Permis de Brive dans ce canevas géologique ?
Le Permis de Brive se situe au nord de l’ancienne demande de Cahors là où le Permien devient moins épais.
- Localisation de la demande de Brive par rapport au graben du Quercy.
Quelles sont les cibles potentielles du Permis de Brive ? Il est possible de les envisager en considérant d’une part les informations fournies par Hexagon et d’autre part les informations géologiques.
Les informations fournies par Hexagon :
- la demande concerne tous les hydrocarbures liquides ou gazeux, autrement dit pétrole et gaz et exclut le charbon.
- Il s’agit de la première demande de permis de recherche pour Hexagon, société nouvellement formée, mais les dirigeants de la compagnie ont une expertise de plus de 75 ans dans les domaines conventionnels et non conventionnels d’exploration et de production d’hydrocarbures, notamment dans le domaine du gaz naturel de charbon (GNC).
- A la demande du Ministère sur l’intention d’utiliser la fracturation hydraulique, Hexagon a répondu que cette technique n’était pas un pré-requis pour l’exploitation du gaz de houille et qu’elle se conformerait à la loi en n’utilisant pas la fracturation hydraulique.
- Hexagon prévoit de la prospection sismique et deux sondages, l’un à minimum 750 mètres de profondeur, l’autre à minimum 1000 mètres de profondeur.
- Hexagon prévoit un budget de 500 000 € pour les 5 ans que durerait le permis d’exploration.
Qu’est-ce que la prospection sismique ?
La prospection sismique est une technique qui provoque de mini-séismes afin de modéliser la structure du sous-sol. Ces mini-séismes peuvent être provoqués par des camions vibreurs ou par de petites charges d’explosifs. Vu les minimum 50 km de coupe sismique envisagée et le nombre d’habitations dans la région, les camions vibreurs sont très probablement le moyen envisagé.
- Camion-vibreur pour prospection sismique
Les camions vibreurs travaillent en groupe (de 3 à 5 le plus souvent) car ils peuvent entrer en résonance et ainsi être plus efficaces.
- Groupe de camions-vibreurs en action.
- Prospection sismique par explosifs (utilisation peu probable dans le cas du Permis de Brive)
Le principe de la prospection sismique est que les ondes créées par la source (camions ou explosifs) peuvent être réfléchies par des discontinuités géologiques et enregistrées en surface à une certaine distance par des enregistreurs appelés géophones. Le temps mis par les ondes pour parvenir aux géophones permet de déterminer la profondeur de la discontinuité. Plusieurs discontinuités peuvent être "vues" par cette technique. Plus les ondes engendrées sont fortes, plus on peut "voir" des discontinuités profondes. Les grands séismes naturels permettent de "voir" la structure entière de notre planète.
- Principe de la prospection sismique, ici avec des camions vibreurs
L’interprétation des données sismiques n’est pas toujours aisée et plusieurs interprétations sont fréquemment possibles. Dans le cas d’une structure intéressante pour la société à l’origine de la prospection sismique, un forage d’exploration est réalisé.
- Un exemple de coupe sismique
- Cette coupe permet de visualiser un diapir (genre de dôme d’origine gravitaire), structure favorable pour un piègeage d’hydrocarbures ; un forage d’exploration est alors réalisé pour savoir si la structure est fertile ou stérile (présence ou non d’hydrocarbures).
- Coupe sismique interprétée en terme de séries géologiques et de profondeur.
- Cette coupe montre qu’au SE de Borrèze, le Permien a une épaisseur de plus de 4000 mètres, se situant entre 1700 et près de 6000 mètres de profondeur.
Qu’impliquent les forages envisagés ?
Les relativement faibles profondeurs des forages envisagés impliquent que les cibles d’Hexagon ne sont pas très profondes : les profondeurs des forages sont des valeurs minimales mais les profondeurs atteintes ne peuvent être largement supérieures. De toutes manière, le budget annoncé (500 000 €/5 ans) ne le permettrait pas.
Ceci est en accord avec la structure géologique puisque la demande de Brive concerne la bordure de la partie profonde du graben du Quercy. Il nous faut cependant différencier l’est et l’ouest de la surface considérée.
Les informations fournies par la structure géologique
La compression pyrénéo-alpine a fait plus remonter l’est du graben du Quercy que l’ouest. Il s’ensuit que des roches plus anciennes affleurent à l’est, à proximité du massif central, comme le Permien du bassin de Brive.
- Coupe sismique du causse de Gramat. On y voit que le Carbonifère se situe à plus faible profondeur à l’est qu’à l’ouest.
A l’ouest, le Permien et le Carbonifère ne sont jamais proche de la surface car ils ne sont pas présents à l’ouest de l’accident quercynois, limite occidentale du graben du Quercy.
- Coupe orientée NE-SO de Saint-Julien de Lampon vers Besse et passant par Bouzic et Florimont.
- Cette coupe géologique est basée sur une prospection sismique (petites secousses provoquées permettant de "lire" les couches en profondeur). On peut y remarquer que le Permien (et le Carbonifère, non représenté) disparaît au SW de Campagnac : c’est le bord ouest du graben du Quercy.
La situation de la partie orientale du Permis de Brive
L’est du Permis de Brive se caractérise par l’affleurement des roches rouges du Permien mais également, à quelques endroits de roches du Ghzélien (fin du Carbonifère). L’arrivée dans le Permien, après des niveaux gréseux mal définis, est marquée par 15 à 20 mètres de calcaire (calcaire de St Antoine) à Callipteris (ou Autunia) conferta, une fougère et par des grès à Walchia, un genre de pin, indiquant la présence de forêts.
Les lithologies indiquent la présence de petites mers ou de lacs. L’ensemble est propice à la formation de charbon via des inondations, la montée de l’eau, etc, ces pays étant de type marécage ou lagune.
- Feuille de Walchia (genre de pin) de l’Assélien (Base du Permien)
- Faune de l’Assélien (base du Permien) avec un Walchia à l’arrière-plan.
- Paysage du Permien inférieur qui pourrait avoir été celui du pays de Brive à cette époque. Ce genre de pays est propice à la conservation des arbres tombés dans l’eau ou recouverts par des montées de l’eau et donc à la formation de charbon.
Le Ghzélien et la partie inférieure du Permien (Assélien-Sakmarien) se caractérisent en effet par la présence de niveaux à charbon. Rapidement cependant, les faciès deviennent oxydés et rouges comme les grès de Brive et de Meyssac, sur des épaisseurs de l’ordre de 1000 mètres dans la région de Brive.
Pour en revenir au Ghzélien et à l’Assélien-Sakmarien, Il existe, sur la commune de Beynat, au SE de Brive, une ancienne petite mine de charbon considérée comme étant du Ghzélien (mais il pourrait être de l’Assélien).
- Carte géologique montrant l’existence d’une ancienne petite mine de charbon au Parjadis (commune de Beynat)
- Cette ancienne mine se trouve dans le Ghzélien (Carbonifère). Les autres gris à l’ouest sont du Permien alors que les couleurs jaune et verte représentent les roches métamorphiques varisques du Massif Central.
La nature exacte de ce charbon n’est pas encore connue de l’auteur de ces lignes. Ce serait utile pour savoir à quelle profondeur il s’est formé.
Les différents types de charbon
La matière organique ligneuse, provenant de l’ensevelissement de forêts, se transforme progressivement avec la pression et la température et voit sa richesse en carbone augmenter. Le bois qui est constitué d’environ 50% de carbone (C) se transforme progressivement en la tourbe (50 à 55% C), lignite (55 à 75% C), houille (75 à 90% C) et anthracite (> 90% C).
- Les différents stades d’évolution du bois en charbon en fonction de la profondeur.
Dans le Crétacé du Périgord, le charbon n’a pas dépassé le stade du lignite. Il a été exploité à Simeyrols, Allas les Mines, Cladech, etc.
Plus il est riche en carbone, plus le charbon a un bon pouvoir calorifique.
- Pouvoir calorifique des charbons
- Les limites de teneurs en carbone fluctuent d’une étude à l’autre (comparer avec les valeurs données ci-dessus) mais ce qui est important est cette augmentation en carbone avec la température.
Dans le forage de Sabadel, sur le causse de Gramat, vers le centre du graben du Quercy (voir article), des passées de charbon ont été notées dans le Ghzélien et le Permien inférieur. Il est donc raisonnable de penser que du charbon se trouve dans le Carbonifère et le Permien inférieur de l’ensemble du graben du Quercy mais probablement le plus souvent en quantités peu importantes.
Il faut savoir que lors de la transformation du charbon, du gaz se forme toujours et souvent de l’huile. De même que dans d’autres roches, l’apparition du pétrole et du gaz est lié à la température, qui augmente avec la profondeur.
- Les "fenêtres" de formation du pétrole (huile) et du gaz.
- Un feu follet
Comme on le voit sur la figure ci-dessus, la production de gaz est relativement importante près de la surface, ce qui est dû à l’activité des bactéries (ce sont par exemple les feux follets des marécages) puis diminue fortement pour être quasiment négligeable avant de recommencer à être produit à partir de 1000 mètres de profondeur. Mais ce n’est qu’à partir de 2500 mètres de profondeur que la production de gaz devient vraiment importante (fenêtre à gaz) pour disparaître vers 4000 mètres.
La production de gaz existe donc surtout quand le charbon est de la houille (formation entre 1000 et 5000 m). A la profondeur du lignite, la production de gaz est insignifiante, à celle de l’anthracite, il n’y en a plus. C’est la raison pour laquelle on peut parler de gaz de charbon ou de gaz de houille, cette dernière expression étant simplement plus précise.
Ce gaz de houille est le grisou des mineurs, aux effets catastrophiques quand, concentré quelque part, il explosait. Le gaz reste piégé dans la houille dans les fissures au sein de celle-ci mais, surtout, est adsorbé sur le charbon lui-même.
- Du charbon, de la houille. Il peut contenir par adsorption de bonnes quantité de gaz (méthane).
Comment peut-on récupérer le gaz houille ?
Le principe de base est le pompage. En faisant baisser la pression, le gaz tend à se désorber et à remonter vers la surface. Comme les couches de charbon sont en géneral noyées, il s’agit de pomper l’eau, le gaz remontant en même temps et de séparer eau et gaz à la surface.
- Exploitation du gaz de houille par pompage de l’eau que le gaz suit, avec séparation en surface.
Il est possible d’améliorer la rentabilité d’un puits en réalisant des forages horizontaux au sein des couches de charbon.
- Des forages horizontaux dans les couches de charbon améliore la rentabilité d’un puits. La récupération du gaz dans les anciennes mines est aussi possible, également par pompage, on parle alors de gaz de mine.
Ce type d’exploitation pose-t-elle problème en terme d’environnement ?
Oui, il existe plusieurs problèmes potentiels.
1) La récupération du méthane, même si le charbon est naturellement fracturé, ne se fait pas très loin des forages. Ce qui signifie que, comme dans le cas de l’exploitation des gaz de schistes, le nombre de forages pour l’exploitation du gaz de houille est important et répartis sur de grandes surfaces, chaque forage étant accompagné d’une série de matériel.
- Un site d’exploitation du gaz de houille en France
Le nombre de forages est moins important que pour le gaz de schistes (1 forage pour 1 à 2 km² (certains disent qu’un forage serait suffisant par 10 km² mais c’est probablement réservé à des cas très favorables) contre 2 à 3 forages par km²) et sur des surfaces en général moins grandes, l’extension des couches de charbon exploitables étant généralement moindre que celles des schistes à gaz, mais l’impact sur la région concernée reste considérable.
- Forages d’exploitation du gaz de houille suivant une couche de charbon s’approfondissant, comme dans le cas du Permis de Brive d’est en ouest.
2) L’eau pompée (de l’ordre de 50 m3 par jour) est en général riche en sels, en particulier en NaCl et en sulfates (rapport USGS, Service géologique des USA) donc peu utilisable pour l’irrigation. Si le charbon contient des éléments comme le soufre, de l’arsenic, etc, ces eaux seront encore moins utilisables. Et au contraire, elles devront être traitées ou réinjectées en profondeur. Ce qui dans tous les cas est coûteux si le travail est bien fait.
3) Le pompage de ces volumes importants d’eau peut avoir des conséquences pour les nappes phréatiques, dépendant de la structure hydrogéologique de la région.
La fracturation hydraulique est-elle nécessaire ?
Non, pas nécessairement. Le charbon est une roche plus cassante que le schiste et, même fracturé, il est susceptible de garder le gaz de par ses capacité d’absorption (dont on se sert également dans la vie de tous les jours par exemple pour les troubles intestinaux ou pour purifier l’eau de pluie). Si le charbon est fort fracturé, le gaz aura malgré tout tendance à s’échapper. Donc si le charbon est fracturé naturellement mais pas trop, le méthane pourra être exploité sans fracturation hydraulique.
Si le charbon n’est pas assez fracturé, existe-t-il des alternatives à la fracturation hydraulique ?
Oui, mais il s’agit d’une technique récente et dont les conséquences sont encore mal connues. Il s’agit d’injecter du CO2 dans le charbon. En effet, le CO2 a une capacité à se faire adsorber par le charbon supérieure au méthane (CH4), qui est donc désorbé, éjecté, et peut être récupéré. On parle dans ce cas de récupération assistée du méthane.
- Différentes possibilités de stockage du CO2 en sous-sol (GIEC, 2005). La technique 5 est la récupération assistée du méthane de charbon.
Cette technique a de plus l’avantage de stocker du CO2 en sous-sol, réduisant ainsi son effet de serre et les changements climatiques.
Mais elle présente un inconvénient majeur : on ne connait pas très bien quelles seront les conséquences de cette injection massive de CO2 en sous sol en particulier dans des couches de charbon. En effet ces dernières sont généralement noyées et CO2 + eau (H2O) => acide carbonique (H2CO3).
- Du CO2 et de l’eau (H20) donne de l’acide carbonique.
Et s’il y a des calcaires à proximité ou accessibles via des fractures, cette formation d’acide carbonique pourrait induire un phénomène de karstification avec toutes les conséquences potentiellement catastrophiques pour la circulation des eaux souterraines voire également en surface.
- Des dolines, résultat de l’activité karstique (dissolution des calcaires par l’acide carbonique contenu dans l’eau), ici naturellement. Bientôt en Quercy comme conséquence de la récupération assistée du méthane ?
Un cas particulier, le gaz de mine
Le gaz resté prisonnier dans les mines de charbon désaffectées est appelé gaz de mine. Il s’agit bien sûr toujours de méthane (CH4) mais comme son gisement est différent ainsi que son exploitation, il est judicieux de le distinguer du gaz de houille, dont il est, en quelque sorte, le descendant.
A la fermeture des charbonnages, ces derniers sont en général envahi par l’eau, ils sont noyés. Le charbon, de par l’existence des galeries, désorbe régulièrement le méthane, qui se trouve comprimé par l’eau. Ce phénomène de surpression peut entraîner des fuites de gaz vers la surface ce qui a deux inconvénients :
1) dans tous les cas, cela libère un gaz à effet de serre 25 fois plus efficace que le CO2 ;
2) dans le cas de régions habitées (ce qui est souvent le cas dans les régions de charbonnage), il y a des risques de concentration du gaz et d’explosion.
Il est donc utile dans ce cas au minimum de limiter la surpression par des dispositifs de sondage de décompression ou de récupérer le gaz pour s’en servir.
- Système de décompression par sondage (BRGM)
- Exploitation de gaz de mine
Dans la région concernée par le Permis de Brive, il n’existe pas d’anciennes mines susceptibles de contenir du gaz de mine exploitable. En Quercy, il pourrait y avoir les anciennes mines de Decazeville mais les couches à galeries sont vraisemblablement trop faillées et trop petites.
La situation de la partie occidentale du Permis de Brive est différente
A l’ouest, la situation est différente. Nous avons une information précise de la géologie de cette région grâce au forage profond de Campagnac-les-Quercy, réalisé en 1957 et qui a dépassé les 2000 mètres de profondeur. Ce forage n’est pas dans la zone du permis de Brive mais il en est très proche puisqu’il est situé 2 km à l’ouest de la limite du la zone du Permis (ligne H-I sur la carte du permis en début d’article).
- Le site du forage profond de Campagnac les Quercy, près du Rey.
En effet, comme on le voit dans la coupe géologique ci-dessous où est représenté le forage de Campagnac, la remontée des terrains sur la bordure ouest du graben du Quercy lors de la compression pyrénéo-alpine a été moindre et le Permien, comme le Carbonifère s’il y en a, sont à grande profondeur.
- Coupe orientée NE-SO de Saint-Julien de Lampon vers Besse et passant par Bouzic et Florimont.
- Cette coupe géologique est basée sur une prospection sismique (petites secousses provoquées permettant de "lire" les couches en profondeur). On peut y remarquer que le Permien (et le Carbonifère, non représenté) disparaît au SW de Campagnac : c’est le bord ouest du graben du Quercy.
Ce forage a été réalisé par la Compagnie des pétroles de Guyenne dans le but d’évaluer les possibilités d’un gisement conventionnel de gaz ou de pétrole. Le but était d’atteindre le Permien inférieur. Malheureusement, à 2037 mètres de profondeur, dans le Permien supérieur, le trépan a cassé. Vu la faiblesse des indices et le coût d’une poursuite du forage dans ces conditions, le forage de Campagnac a été abandonné après 6 mois de forage.
- Ce qu’il reste visible du tube de forage. Le cocker Tibulle donne l’échelle.
Il nous fournit cependant de précieuses informations réelles et précises.
- Le log géologique du sondage de Campagnac (données originales mises en forme, compilées, simplifiées et modifiées par J.P. Liégeois)
- Les points ou lignes noires à gauche du log représentent les portions carottées (et donc connues avec nettement plus de précisions que les portions basées sur le cuttings).
Les petites flammes représentent des indices de gaz, la goutte noire, un indice de pétrole et les volutes roses une odeur d’hydrocarbure.
On peut y voir en particulier pour ce qui nous occupe ici :
Le forage a été réalisé dans une structure en dôme (favorable pour un piège géologique à hydrocarbures), dôme résultant de la compression le long de l’accident ouest-quercynois localisé juste à l’ouest du forage. Ce forage est donc situé à la bordure occidentale du graben du Quercy.
Le forage a démarré dans le Kimméridgien, au sommet du Jurassique (il manque juste le Tithonien, le calcaire de Bouzic) et a ensuite traversé l’ensemble du Jurassique calcaire et dolomitique, avec quelques passages de marnes lacustres parfois ligniteuses comme dans le Bathonien, pour atteindre, vers 900 mètres de profondeur, les marnes du Toarcien qui font 40 mètres d’épaisseur. Juste au-dessus il y a le fin niveau calcaire de l’Aalénien qui, dans la région de Brive, est à la surface puisqu’il constitue l’assise du château de Turenne.
La dolomie est une roche composée de dolomite, carbonate de calcium et magnésium (CaMg(CO3)2). La dolomie peut être primaire ou secondaire. Primaire, elle précipite directement dans les mers chaudes et peu profondes sujettes à une intense évaporation. Il s’agit donc de conditions proches de celles des évaporites avec lesquelles les dolomies peuvent être comparées. Secondaire, on parle alors de dolomitisation, elle se forme au détriment des calcaire par remplacement du calcium par le magnésium. Généralement lors de la diagenèse (début de la formation des roches à partir des sédiments) mais aussi en conséquence de la circulation d’eau magnésienne. La dolomitisation est un phénomène progressif avec formation de calcaires dolomitiques avant d’atteindre des dolomies vraies.
Les dolomies sont importantes, car, plus poreuses que les calcaires, elles sont de bonnes cibles pour les réservoirs d’hydrocarbures conventionnels (d’où l’intérêt de la Compagnie des Pétroles de Guyenne pour la dolomie de Carcans, juste sous un niveau d’anhydrite imperméable (recoupée vers 1430 m).
Le Toarcien, cible potentielle pour les gaz de schistes (voir article), est composé de marnes dolomitiques (une marne est un mélange de calcaire et d’argile et le calcaire peut se transformer en dolomie, menant ainsi à une marne dolomitique) avec un fin lit de schiste carton à sa base, mais sans indice de gaz.
Sous le Toarcien, on trouve les alternances de grès, marnes, calcaires, le tout fréquemment dolomitique, du Pliensbachien, les beaux calcaires du Sinémurien avant d’arriver à l’Hettangien, base du Jurassique. L’Hettangien est caractérisé par une forte épaisseur d’anhydrite entrecoupée de passages de dolomie très probablement primaire, le tout représentant un important passage évaporitique témoin de conditions sévères d’évaporation dans une mer peu profonde. L’Hettangien est l’étage le plus épais du Jurassique avec plus de 400 mètres d’épaisseur. Des joints charbonneux et un peu d’argile noire y ont été observés mais dans des proportions très faibles.
La dolomie de Carcans, extrême base de l’Hettangien s’est avérée peu épaisse et sans particularité si ce n’est la présence d’anhydrite, préfigurant l’épisode évaporitique.
Sous l’Hettangien, le forage a recoupé plus de 500 mètres de grès, argiles et conglomérats violacés à rouges, typique du Permo-Trias de la région de Brive, jusqu’au bris du trépan. Plusieurs indices de gaz ont été relevés dans le Trias (150 mètres d’épaisseur) et dans la partie supérieur du Permien (dans ce dernier cas, une pollution par le Trias lors du forage est possible). Une imprégnation d’huile a été observé à la discordance Permien/Trias. La présence de ces hydrocarbures, qualifiés de vagabonds par les auteurs du rapport du forage, est due au caractère essentiellement perméable du Permo-Trias et au caractère essentiellement imperméable des évaporites. Mais ces hydrocarbures étaient peu concentrés, cette zone n’ayant pas fonctionné comme piège suffisamment efficace ou n’ayant pas reçu suffisamment d’hydrocarbures. Ce qui a justifié l’abandon du forage.
D’un point de vue hydrogéologique, il est important noter que les auteurs du rapport signalent que tout le Jurassique est envahi par de l’eau douce. Ils suggèrent même que tous les terrains compris entre la surface et le premier niveau d’anhydrite hettangienne (profondeur de 1144 mètres) voire jusqu’à la première dolomie intercalée dans l’anhydrite (profondeur 1303 mètres) baignent dans une même nappe d’eau douce en mouvement, les nappes testées ayant le même niveau d’équilibre. La première eau un peu salée a été trouvée sous l’anhydrite, dans la dolomie de Carcans (profondeur de 1430 m).
Comme une telle épaisseur unique d’eau douce n’est pas la caractéristique des nappes des causses du Quercy (voir article), nous pouvons émettre l’hypothèse que ceci est dû à la proximité de l’accident ouest-quercynois qui joue le rôle de drain. C’est le cas de beaucoup de failles mais ici ce drain existerait sur plus de 1000 mètres d’épaisseur. C’est une information fondamentale.
- Faille (pli-faille) jouant le rôle de drain.
Deux autres conclusions des auteurs du rapport sont très importantes :
L’ensemble des formations s’est révélé essentiellement poreuse et perméable avec un taux de couvertures étanches très faibles.
Les lithologies du Permien et du Trias sont essentiellement perméables.
Quelles sont les cibles potentielles pour Hexagon dans la partie occidentale du Permis de Brive ?
Dans cette zone occidentale du Quercy à Campagnac, jusqu’à deux mille mètres de profondeur, il n’y a donc pas de gaz de houille à exploiter ni même de gaz de schistes. La partie inférieure du Permien, celle qui est potentiellement à charbon, et le Ghzélien (Carbonifère) n’ont pas été atteints et aucune information n’est donc disponible. De toutes manières, cette cible est hors d’atteinte pour Hexagon qui ne compte guère dépasser 1000 mètres en forage.
Dans cette région occidentale des causses du Quercy, il serait possible d’envisager l’existence de pièges conventionnels pour le gaz sous l’anhydrite. Comme le graben devient moins profond vers le nord, ces pièges potentiels pourraient se rapprocher de la profondeur de 1000 mètres dans le nord-ouest du Permis.
De même, dans le nord-ouest du Permis, le Permien devrait être moins profond (voir carte au début de l’article avec la profondeur du Permien) et accessible pour Hexagon mais ses caractéristiques ne sont pas connues.
En guise de conclusions...
A l’est du Permis de Brive, la cible est clairement le gaz de houille du Ghzélien (sommet du Carbonifère) et de l’Assélien-Sakmarien (base du Permien). Au sud-ouest, il n’y a guère qu’un piège conventionnel qui puisse constituer une cible. Au nord-ouest, une situation similaire à celle de l’est est possible (gaz de houille) étant donné que la base du Permien est moins profonde que plus au sud mais les informations précises n’existent pas (pas de sondage).
Il est important de distinguer gaz de houille (ou de charbon, expressions recouvrant la même réalité) et gaz de mines, ce dernier n’existant pas dans le périmètre du Permis de Brive.
* En effet, l’exploitation du gaz de mine est en général profitable d’un point de vue environnemental (installation sur un site industriel, permet d’éviter les fuites de méthane dues à la surpression induite par les galeries abandonnées vers l’atmosphère (problématique car le méthane est un gaz à effet de serre puissant) ou vers les lieux habités (risque d’explosion) ; par ailleurs il faut être très attentif à la composition de l’eau pompée et à son devenir, étant rarement utilisable en agriculture de par sa richesse en sels. C’est d’ailleurs cette problématique du traitement de cette eau pompée qui fait que l’extraction du gaz de mines n’est pas toujours rentable.
* Il n’en est pas de même pour l’exploitation du gaz de houille.
En effet, si cette exploitation est moins problématique que celle du gaz de schistes quand la fracturation hydraulique n’est pas utilisée, l’exploitation du gaz de houille pose néanmoins plusieurs problèmes :
elle requiert un grand nombre de puits (1 forage pour 1 à 2 km² (peut-être jusqu’à 10 km² dans des conditions très favorables) avec un fort impact sur le paysage sans compter les probables gazoducs et charrois lors de la phase initiale.
L’exploitation du gaz de houille consiste à pomper l’eau présente dans le charbon pour que le gaz puisse sortir. Cette eau est généralement salée voire contaminée par certains éléments toxiques présents dans le charbon et des dizaines de milliers de m3 de cette eau sont retirés de chaque puits chaque année, impliquant son stockage et son traitement avec les risque que cela implique, en particulier en zone karstique.
L’effet de la soustraction de ces volumes importants d’eau sur le sous-sol, en particulier sur les équilibres existants entre les nappes phréatiques est peu prévisible dans l’état actuelle des connaissances, en particulier dans le Quercy qui comprend plusieurs grandes nappes superposées jusqu’à 1000 mètres de profondeur.
L’absence de fracturation hydraulique impose que les couches de charbon soient naturellement fracturées ; le comportement de ces fractures suite à l’exploitation est difficilement modélisable.
Des techniques de facilitation de l’exploitation autre que la fracturation hydraulique existent comme l’injection de CO2 qui s’adsorbe mieux sur le charbon que le méthane qui est ainsi libéré. Les effets d’une telle injection, qui ne produit pas de la fracturation et n’est donc pas interdite, sont mal connus mais potentiellement dévastateurs en région karstique, le CO2, se combinant avec l’eau pour former l’acide carbonique qui dissout les calcaires.
S’il existe un niveau semblant imperméable à l’ouest à plus de mille mètres de profondeur, les évaporites hettangiennes, celles-ci ont été dissoutes à l’est où aucun barrage n’existe donc entre les niveaux de charbon du Carbonifère et Permien, le Permien et le Trias étant globalement perméables. La possibilité de mobilité de fluides coincés à l’ouest sous l’évaporite vers l’est ne peut actuellement être modélisée. Au nord-ouest, il n’existe pas, à la connaissance de l’auteur de cet article, d’informations sur l’existence et l’épaisseur d’évaporites hettangiennes. Si elles existent, il faudrait évaluer leur capacité de constituer un niveau étanche vers le dessus et vers l’est.
L’exploitation du gaz de houille dans le périmètre du Permis de Brive serait donc moins dramatique que celle du gaz de schistes mais, d’un point de vue géologique, ne devrait pas être entamée sans une meilleure connaissance du sous-sol et des possibilités de migration des fluides même si l’absence de surpression hydraulique est un point important. L’impact en surface doit également être pris en considération en particulier dans une zone karstique ou toute fuite des zones de stockage pourrait avoir des conséquences tragiques pour les nappes phréatiques. Toute exploitation ne devrait être envisagée que si tous ces paramètres géologiques s’avéraient compatibles, ce qui devrait être vérifié par des organismes indépendants comme des laboratoires universitaires.
Si la fracturation hydraulique venait à être autorisée et utilisée dans ce cas-ci, la problématique rejoindrait celle des gaz de schistes (voir article), à quelques variantes près.
Mise à jour 11 octobre 2013 : la fracturation reste interdite en France, par décision du Conseil constitutionnel. Voir l’article La fracturation hydraulique reste interdite en France !
Jean-Paul Liégeois, géologue
- Paysage du Permien avec un Gerobatrachus hottoni calamites et un conifère de type Walchia tombé
(par Michael Skrepnick)