Alternatives à la fracturation hydraulique (gaz de schiste) : le rapport au sénat annoté.
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Introduction à cet article
- Daniel Raoul, sénateur.
Lors de sa réunion du 14 novembre 2012, la commission des affaires économiques du Sénat, sur la proposition de son président, le sénateur Daniel Raoul (PS, Maine et Loire) a décidé de saisir l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) d’une demande d’étude sur les solutions alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste, appelés plus communément Gaz de Schiste (GDS).
- Bruno Sido, sénateur.
L’OPECST, qui réunit dix-huit députés et dix-huit sénateurs, a pour mission d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin d’éclairer ses décisions. Présidé par le sénateur Bruno Sido (UMP – Haute-Marne), il peut être saisi, soit par le bureau de l’une ou l’autre assemblée, soit par une commission spéciale ou permanente.
Il faut se rappeler, en effet, que seule la fracturation hydraulique a été interdite par la loi du 13 juillet 2011, et non pas l’exploration et l’exploitation des GDS. Actuellement, comme la fracturation hydraulique est la seule méthode utilisable pour l’exploitation des GDS, cela équivaut à interdire leur exploitation. La mise au point d’une autre technique permettrait par contre leur exploitation sans contrevenir à la loi du 13 juillet 2011.
Il était donc sensé de saisir l’OPECST sur les techniques alternatives à l’exploitation des GDS car il est important que nos élus, et les citoyens puisque ces documents sont publics, soient au courant à temps des évolutions techniques et que des lois adaptées soient votées en temps voulu.
Il faut cependant noter que la commission des affaires économiques du Sénat, comme son objet pouvait le laisser supposer, verrait d’un bon œil l’exploitation de gaz en France pour réduire sa dépendance énergétique et déclare que "sans qu’il soit question de revenir sur la prohibition du recours aux techniques de fracturation hydraulique, la commission a considéré qu’il serait regrettable d’interdire toute réflexion et recherche permettant la mise au point de technologies alternatives et respectueuses de l’environnement. Ces technologies permettraient notamment de mieux évaluer les ressources contenues dans le sous-sol français afin éventuellement de les exploiter en définissant un cadre réglementaire très strict."
- Christian Bataille, député.
- Jean-Claude Lenoir, sénateur.
Un rapport préliminaire, a été présenté le 31 janvier 2013 par le sénateur Jean-Claude Lenoir (UMP, Orne) et le député Christian Bataille (PS, Nord). Suite à ce rapport, l’OPECST a décidé d’une mission plus importante qui rendra son rapport à l’automne 2013.
Ci-dessous, vous trouverez ce rapport préliminaire annoté pour tenter d’éclairer certaines conclusions soit en insistant sur leur importance soit en les relativisant, tout en restant, autant que faire se peut, sur le plan scientifique et factuel. Ces annotations sont clairement identifiables, elles sont en rouge et en italique.
Les illustrations sont celles du rapport.
Par ailleurs, vous trouverez le rapport original en fin d’article sous la forme d’un fichier PDF téléchargeable.
N’hésitez pas à faire des commentaires sous l’article. Ils seront susceptibles d’enrichir les annotations.
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
ÉTUDE DE FAISABILITÉ
d’un rapport relatif aux « Techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste »
Présentée par M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, et M. Christian Bataille, député
- Lettre de saisine de M. Daniel Raoul
INTRODUCTION
En 2011, la facture énergétique de la France a battu un record, en atteignant 61,4 Mds€, ce qui représente 88 % de son déficit commercial. Si la France exporte de l’électricité, elle importe en revanche massivement pétrole et gaz. Cette situation n’est pas seulement coûteuse d’un point de vue économique ; elle génère aussi une dépendance à l’égard de nos principaux fournisseurs. Ainsi, pour le pétrole, la production française représente aujourd’hui 1,1 % de la consommation nationale, ce qui génère une facture de 50 Mds € (2011). La Russie est notre premier fournisseur en pétrole brut devant le Kazakhstan et l’Arabie saoudite. La dépendance de la France est également presque totale s’agissant du gaz. Dans les années 1970, la France produisait un tiers de sa consommation de gaz.
Aujourd’hui, elle produit 1,4 % du gaz consommé et paie une facture de 11,5 Mds€ d’importations (2011). Nos principaux fournisseurs de gaz sont la Norvège (34 %), les Pays-Bas, la Russie et l’Algérie.
Dans ce contexte, comment ne pas s’intéresser, au moins au titre de la recherche, aux éventuelles ressources de notre sous-sol national, outre-mer (Guyane) ou en métropole ?
La saisine de M. Daniel Raoul, président de la Commission des affaires économiques du Sénat, qui porte sur « les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste » est l’occasion pour l’Office parlementaire d’étudier la problématique des hydrocarbures non conventionnels, qui a surgi en France fin 2010, pour aboutir, quelque peu dans la précipitation, à la loi du 13 juillet 2011. Cette loi interdit l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures par fracturation hydraulique et prévoit l’abrogation des permis de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique. Elle laisse toutefois une porte entrebâillée, puisqu’elle prévoit la création d’une commission chargée d’émettre des avis sur des expérimentations réalisées à seule fin de recherches scientifiques, sous contrôle public.
Nos auditions préliminaires confirment l’intérêt de cette saisine sur les techniques alternatives. D’une part, en effet, la fracturation hydraulique est une pratique qui évolue très rapidement. D’autre part, il existe d’autres pistes susceptibles de justifier un effort de recherche dans l’objectif d’évaluer leur faisabilité et leur impact environnemental.
Il ressort de nos premières auditions que l’interdiction édictée en France semble inciter les opérateurs à faire évoluer leurs pratiques afin de les rendre plus respectueuses de l’environnement et plus compatibles avec le contexte européen.
De l’importance des réglementations pour les industriels dont le souci majeur est la production au moindre prix en respectant la législation existante mais sans aller au-delà (pour les deux termes, dans la grande majorité des cas). D’où la grande importance d’une bonne information des élus et des citoyens avant toute exploitation.
I. HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS : UN ESSOR RÉCENT DANS LE SILLAGE DES ETATS-UNIS
L’essor récent de la production d’hydrocarbures non conventionnels résulte de la conjonction d’évolutions techniques et de conditions économiques ayant rendu cette production rentable.
1. Spécificités des hydrocarbures dits « non conventionnels »
La spécificité des hydrocarbures non conventionnels ne tient pas à leur nature mais aux techniques nécessaires à leur exploitation.
Point important : le gaz, c’est dans tous les cas du méthane (CH4), c’est son gisement qui est différent, et par conséquent la difficulté de l’exploiter qui diffère.
a) Les hydrocarbures non conventionnels
La saisine qui nous a été confiée porte sur les « gaz de schiste ». Nos auditions préliminaires nous conduisent à penser que ces termes sont doublement inappropriés.
D’une part, elle semble exclure les huiles ou pétrole de schiste, ce qui ne correspond probablement pas à l’intention de l’auteur de la saisine, puisque leur exploitation soulève des interrogations similaires à celle du gaz de schiste. Par ailleurs, il est probable, si certaines prévisions sont avérées, que ces huiles constituent une partie importante des ressources françaises récupérables, notamment en Ile de France. Il conviendra donc d’en intégrer la problématique à notre étude.
D’autre part, les experts sont unanimes à désapprouver l’emploi du mot « schiste », qui provient d’une mauvaise traduction de l’anglais « shale ». En français, le mot « schiste » est employé pour désigner soit une roche sédimentaire argileuse (en anglais, shale), soit une roche dite métamorphique, obtenue en raison d’une augmentation très élevée de la pression et de la température (en anglais, schist). Seule la première catégorie de schiste est susceptible de renfermer des hydrocarbures.
Inexactitude : le mot schiste (datant de 1742) n’est pas une mauvaise traduction du mot shale. Schiste provient du grec "skhistos" et du latin "schistus" qui signifie "que l’on peut fendre". Dans les roches non métamorphiques, les roches que l’on peut fendre ont une composition largement argileuse, les minéraux argileux étant en plaquettes, il s’aplatissent rapidement et fournissent au sédiment compacté devenu roche, un aspect "schisteux". Les anciens géologues ont donc appelé ces roches des schistes qui, de facto, ont une composition argileuse. Cette schistosité est souvent appelée "schistosité de fracture" même si le terme est contesté. En anglais, ces roches sont appelées "shale" et la schistosité de fracture "cleavage".
Dans les roches métamorphiques (caractérisées par une recristallisation de nouveaux minéraux, le plus souvent lors de phases tectoniques), une schistosité de flux ou de recristallisation se développe, souvent appelée foliation métamorphique. En français ces roches métamorphiques foliées portent divers noms suivant leur composition et leur structure (gneiss, amphibolite, marbre, etc) et sont rarement qualifiées de schistes, sauf dans le cas où elles sont riches en micas (micaschistes) ou pour qualifier certains faciès métamorphiques comme celui des schistes verts, des schistes bleus ou des schistes blancs. En anglais, quasiment toutes ces roches métamorphiques sont considérées comme des "schists" mais des noms similaires au français les caractérisent plus précisément : gneiss, amphibolite, marble,…
Le terme de "schiste" recouvre donc des notions variables dû à sa longue existence et aux glissements de sens qui l’ont affecté comme pour beaucoup d’autres termes de la langue française. Si pour le géologue, le nom de schiste ne pose pas de problème, il en connaît les diverses acceptions, il peut paraître ambigu. Le mot schiste est en fait polysémique (mot avec plusieurs sens) comme tant d’autres et il suffit de le savoir. Par ailleurs, il vaut mieux en connaître tous les sens car sur les cartes géologique de France, ce type de roches argileuses non métamorphiques sont appelées schistes et non shale, mot anglais. Les célèbre schistes-carton du Toarcien français, contenant une quantité importante de matière organique, n’ont jamais été appelé shale-carton, malgré quelques tentatives avortées au Canada. Comme le déclare le Bureau de Traduction de l’Office Gouvernemental du Canada : "Que le schiste soit de nature métamorphique (en anglais « schist ») ou de nature sédimentaire et argileuse (en anglais « shale »), il s’agit quand même de schiste, et le terme « shale » reste en français un emprunt inutile".
De plus dans le cas de l’expression "gaz de schiste", il est clair qu’il s’agit de la roche non métamorphique à composante fortement argileuse puisque les schistes métamorphiques ne contiennent plus d’hydrocarbures en quantité appréciable (température et pression de formation trop élevées pour ces derniers).
N’infantilisons donc pas le citoyen et conservons l’expression "gaz de schiste".
C’est pourquoi il paraît préférable de parler d’hydrocarbures de roche-mère ou, en faisant allusion à leurs modes d’exploitation, d’hydrocarbures non conventionnels.
Nous suggérons de retenir l’appellation « hydrocarbures non conventionnels », car ces termes permettent d’englober trois types de gisements dont l’exploitation répond à des problématiques communes :
Les hydrocarbures de roche-mère : il s’agit des huiles et gaz de « shale », dispersés au sein d’une roche argileuse (argilite), non poreuse ;
Les gaz de réservoir compact (tight gas) qui se sont, pour leur part, accumulés dans des réservoirs difficiles à exploiter, car emprisonnés dans des roches imperméables où la pression est très forte ;
Le gaz de houille (coalbed methane) ou grisou, dispersé dans des gisements de charbon (à distinguer du « gaz de mines », également du grisou, que l’on récupère par pompage dans d’anciens bassins miniers).
Si l’expression "hydrocarbure non conventionnels" décrit correctement les trois types de gisement décrits ci-dessus (tout trois ne peuvent être exploités de manière simple conventionnelle), l’expression "hydrocarbures de roches-mères" pour remplacer l’expression "gaz de schistes" est malheureuse car d’une part le gaz de houille est un hydrocarbure de roches-mère et il y a perte de sens sur la nature de la roche.
Comme dit plus haut, l’expression "gaz de schiste" devrait être conservée. On peut se demander si ce n’est pas surtout le caractère symbolique de l’expression qui est visée : en éliminant l’expression "gaz de schiste", on peut penser éliminer une partie du côté négatif de la problématique dans le grand public.
Enfin pour la compréhension, précisons que les réservoirs compacts sont pour la plupart des réservoirs devenus compacts après l’accumulation du gaz par approfondissement du réservoir. Sinon, sans être roche-mère, comment contiendraient-ils du gaz ? Les réservoirs compacts sont en général plus vieux et sont surtout présents dans le Paléozoïque.
On remarquera que les sables bitumineux (Canada) n’entrent pas dans la même catégorie puisqu’il s’agit de gisements exploités à ciel ouvert, soumis à un traitement thermique.
b) Les modes d’exploitation
Ce qui est non conventionnel, ce n’est évidemment pas la nature de l’hydrocarbure récupéré, mais la roche dans laquelle il se trouve, les conditions dans lesquelles il est retenu dans cette roche et les techniques nécessaires à son exploitation.
Les hydrocarbures non conventionnels se trouvant dans un milieu imperméable, leur production nécessite de créer une perméabilité de façon artificielle en fissurant la roche. La technique la plus employée actuellement est la fracturation hydraulique. Cette technique, qui existe depuis 1947, consiste, à partir de forages horizontaux, à injecter de l’eau à très haute pression pour créer des fissures qui sont maintenues ouvertes par l’emploi de sable et d’additifs chimiques. Les fissures ainsi créées viennent interconnecter le réseau déjà existant de fissures naturelles de la roche, ce qui permet de drainer les hydrocarbures.
Bon résumé de la technique
Les termes de « fracturation hydraulique » sont parfois employés pour désigner la fracturation par injection de tout type de liquide (eau mais aussi : propane liquide, voire hélium ou azote liquides par exemple cf. schéma ci-après page 16). Il semble préférable à vos rapporteurs de ne désigner par fracturation « hydraulique » que celle réalisée principalement à partir d’eau, ce qui correspond à l’usage normal de cet adjectif.
Ici on peut s’étonner ! Si le terme hydraulique a souvent trait à l’eau, il est régulièrement utilisé pour tout liquide. A Bouzic et ailleurs dans les campagnes, on sait très bien que le relevage hydraulique des tracteurs utilise de l’huile et non de l’eau ! On peut penser que cette restriction est une tentative préliminaire d’exclure de la fracturation hydraulique (et donc de la loi du 13 juillet 2013) les techniques utilisant des gaz liquides comme ceux listés plus haut (propane, hélium, azote). Ce qui est confirmé dans les conclusions ci-dessous où la fracturation hydraulique au propane liquide (la fracturation est obtenue lors de son passage à l’état gazeux) est appelée "stimulation au propane" et est considérée d’ores et déjà comme une technique alternative à la fracturation hydraulique.
Au contraire des réserves non conventionnelles, les gisements dits aujourd’hui, a contrario, « conventionnels » se caractérisent par l’existence d’une accumulation liquide ou gazeuse située dans une roche poreuse et perméable, ce qui permet une extraction classique par forage et éventuellement par pompage, sans nécessiter d’autres étapes de traitement.
2. Un essor récent dans un contexte d’incertitudes sur les ressources
D’après l’Agence internationale de l’énergie, le gaz non conventionnel comptera pour près de la moitié de l’augmentation de la production de gaz mondiale d’ici 2035, cette augmentation venant pour majeure partie de la Chine, des États-Unis et de l’Australie.
a) Une croissance très rapide aux États-Unis
Aux États-Unis, la production de gaz non conventionnel s’est accrue très rapidement dans la seconde moitié de la décennie 2000, pour des raisons principalement économiques, le prix élevé du gaz ayant rentabilisé le développement de techniques permettant la récupération d’une ressource auparavant considérée comme non exploitable.
Ce gaz devrait permettre aux États-Unis de devenir autonome (c’est-à-dire exportateurs nets) d’ici 2021. En 2035, il constituera la moitié de la production de gaz états-unien. Ceci représente une révolution économique et géopolitique inattendue puisque les États-Unis avaient entrepris la construction de terminaux destinés à l’importation de gaz, équipés de centrales de regazéification, qui ont dû être arrêtés.
La croissance des productions de pétrole et de gaz aux États-Unis a des répercussions mondiales. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’aux alentours de 2020, les États-Unis deviendront le plus gros producteur de pétrole mondial, dépassant l’Arabie saoudite. L’Amérique du Nord deviendrait exportatrice nette autour de 2030.
Les retombées économiques de cette révolution dans le domaine énergétique sont importantes car les grands groupes pétrochimiques sont incités à multiplier les investissements sur le sol américain. C’est le cas de Dow Chemical et d’Exxon au Texas notamment. Dans un rapport publié en octobre, PriceWaterhouseCoopers souligne que le coût de l’éthylène, aux États-Unis, pourrait tomber de 1 000 $ par tonne avant la révolution des gaz non conventionnels à quelque 300 $ par tonne. La production américaine deviendrait ainsi la plus compétitive du monde. D’après cette étude, les hydrocarbures non conventionnels sont susceptibles de générer un million d’emploi aux États-Unis d’ici 2025.
Les groupes chimiques européens pourraient être incités à délocaliser leur production dans un pays bien connu d’eux et présentant peu de risques.
Seuls les aspects économiques sont traités, rappel qu’il s’agit d’un rapport réalisé à la demande de la commission des affaires économiques du Sénat.
b) Une ressource qui suscite l’intérêt de nombreux pays
Jusqu’à récemment, la production de gaz non conventionnel était presque exclusivement le fait des États-Unis. Le deuxième pays à s’être lancé dans la production de gaz non conventionnel est le Canada. A l’heure actuelle, États-Unis et Canada sont à l’origine de la quasi-totalité de la production mondiale de ces hydrocarbures, qui suscitent l’intérêt de nombreux autres États dans le monde.
L’Australie, la Chine, l’Algérie ont, par exemple, manifesté leur intérêt pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Certains grands pays comprenant des zones désertiques, où l’approvisionnement en eau est problématique, pourraient être incités à développer des techniques alternatives pour réduire la quantité d’eau nécessaire à la fracturation hydraulique, voire ne plus employer d’eau.
En Europe, la situation est contrastée. Les évaluations disponibles des ressources reposent sur des modèles théoriques et des données éparses. L’agence américaine EIA (Energy information administration) a ainsi estimé la ressource techniquement récupérable en gaz de roche mère dans les pays européens à 18 Tm3, la Pologne paraissant être le pays d’Europe le plus richement doté (5,3 Tm3), devant la France (5 Tm3).
Comme il est écrit plus bas, les réserves en Pologne seraient plutôt de 1,92 Tm3. Quelles sont les réserves réelles en France ? Comme le signale ce rapport plus bas, ces estimations sont américaines et les institutions géologiques françaises (BRGM, universités, etc) se gardent bien d’avancer un chiffre. Reconnaissons que ce rapport est clair à ce sujet.
Certains pays démarrent la prospection (Pologne, Royaume-Uni, Danemark), d’autres ont mis en place un moratoire (Allemagne, Pays-Bas) ; deux pays ont interdit la fracturation hydraulique (France, Bulgarie).
Dans les pays ayant choisi la voie du moratoire, des études préliminaires et des débats sont en cours. L’Allemagne a, par exemple, mis en place un comité parlementaire étudiant les perspectives de l’exploration et demandé des études scientifiques destinées à alimenter le débat public.
Au Royaume-Uni, les forages ont été suspendus à la suite de séismes de magnitude 2,31 sur l’échelle de Richter (Blackpool). En décembre 2012, il a été décidé d’autoriser la reprise de ces forages exploratoires. Ils devront s’accompagner de nouveaux contrôles pour éviter les risques sismiques. Des permis d’exploration devraient être délivrés cette année.
La Pologne est probablement, en Europe, le pays le plus avancé dans l’exploration de son potentiel en hydrocarbures non conventionnels. Pour ce pays, le gaz de schiste constitue une opportunité de réduire considérablement les importations de gaz et par conséquent la dépendance à l’égard de Gazprom (fournisseur de 60 % du gaz polonais et de 25 % du gaz européen).
En Pologne, les prévisions de ressources récupérables ont toutefois été revues à la baisse par l’Institut National de Géologie, qui a publié le 21 mars 2012 un rapport dans lequel il évalue les gisements de gaz de schiste exploitables à 1,92 Tm3, soit un peu plus d’un tiers seulement des estimations américaines, ce qui illustre l’incertitude sur la ressource, en l’absence d’un échantillonnage suffisant. L’Institut géologique polonais prévoir d’actualiser ses estimations vers la fin de 2013.
Il convient d’ajouter que tous les gisements techniquement récupérables ne sont pas effectivement exploitables, pour des raisons d’accessibilité ou de rentabilité. Il faut donc distinguer la ressource techniquement récupérable de la réserve, qui dépend des conditions économiques.
Les estimations pour les États-Unis et le Canada sont plus fiables que celles réalisées pour l’Europe, en raison de la maturité plus grande de l’exploration et de l’exploitation dans ces pays. Les pays européens ne connaissent à ce jour que très imparfaitement les ressources de leur sous-sol. C’est singulièrement vrai en France, où les organismes auditionnés pour la réalisation de la présente étude de faisabilité (CGIET (Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies), BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières, IFPEN (Institut Français du Pétrole Énergies Nouvelles) CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable), INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques) se réfèrent tous, pour l’évaluation des ressources françaises, à des sources américaines ou internationales (essentiellement l’EIA (Energy Information Administration ) et l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie).
Voir remarque plus haut
Si les organismes compétents ont été sollicités pour des études dans la plupart des pays d’Europe, ce n’est pas le cas en France, alors même que la loi de 2011 ne l’excluait pas complètement. Pourtant, en France, il serait possible de procéder à de premières quantifications des ressources du sous-sol français à partir des connaissances et modèles existants, pour deux bassins : le bassin du sud-est et celui de Paris.
II. IDENTIFICATION ET MAÎTRISE DES RISQUES : UNE ÉVALUATION NÉCESSAIRE DES TECHNIQUES ALTERNATIVES D’EXPLORATION ET D’EXPLOITATION
L’expérience accumulée, essentiellement aux États-Unis, a mis en évidence les risques associés à l’exploration et à la production d’hydrocarbures non conventionnels.
Nos auditions préliminaires nous conduisent toutefois à penser que les techniques évoluent très rapidement. D’une part, dans les pays explorant ou exploitant ces hydrocarbures, notamment aux États-Unis, les pouvoirs publics mettent progressivement en place des réglementations spécifiques ; d’autre part, afin d’améliorer l’acceptabilité sociale de leur activité, les opérateurs sont enclins à mieux prendre en compte les considérations environnementales.
Ceci indique bien l’importance de l’implication du citoyen, qu’il soit un professionnel du secteur ou non.
1. Les risques spécifiques de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels
Les fracturations sont réalisées par injection d’un fluide sous pression. Ce fluide est composé d’eau (8 000 à 20 000 m3 par forage), d’additifs chimiques et de particules (agents de soutènement, dits aussi proppants) permettant de maintenir les fractures ouvertes.
Cette description montre bien que le terme hydraulique se réfère à un fluide et pas seulement à l’eau.
Les principaux risques et les enjeux associés à l’usage de la fracturation hydraulique sont les suivants :
Son impact quantitatif sur la ressource en eau : la disponibilité de l’eau et les conflits d’usage potentiels sont variables selon les zones ;
Le risque de migration des gaz ou des produits utilisés pour la fracturation : les nappes phréatiques étant proches de la surface du sol, leur contamination du fait de la fracturation hydraulique est très peu probable.
Inexactitude : les nappes phréatiques peuvent être profondes comme dans le karst du Quercy-Périgord où les nappes exploitées peuvent se situer à 800 mètres de profondeur, sans compter les aquifères encore plus profonds, même s’ils sont plus salins. Le danger de contamination en Quercy-Périgord devrait être évaluer avec précision mais il peut d’ores et déjà être considéré comme élevé. Du danger de la généralisation.
Il faut néanmoins contrôler l’intégrité des aquifères profonds salés. S’il y a un risque de pollution du sol et des nappes phréatiques, il est plutôt imputable à la qualité du forage et des installations au sol.
A nouveau, ceci n’est pas exact dans le cas du Périgord-Quercy, la fracturation en profondeur y est une source potentielle de contamination importante.
Ce risque n’est pas fondamentalement différent de celui qui est associé à un forage conventionnel mais le nombre de puits nécessaires pour produire une quantité donnée d’hydrocarbures est plus important en « non conventionnel » qu’en « conventionnel ».
C’est le moins que l’on puisse dire "beaucoup plus important" serait plus exact. De l’ordre de 1000 fois plus pourrait-on préciser.
Aux États-Unis, où des cas de pollution d’eau potable ont été observés (par exemple à Pavilion au Wyoming), l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA) a entrepris une étude sur les impacts environnementaux de la fracturation hydraulique, dont les résultats sont attendus en 2014.
L’impact spécifique des additifs chimiques employés pour la fracturation. Ceux-ci représentent une faible part du liquide de fracturation (0,14 % dans l’exemple ci-dessous), ce qui correspond toutefois à des quantités importantes, étant donné les volumes d’eau utilisés.
Correct. Le pourcentage peut apparaître faible mais le volume absolu de ces additifs est important. L’on sait également que certains produits peuvent être très actifs même en faible quantité.
Le risque de mobilisation d’éléments contenus dans la roche par la fracturation hydraulique. Aux États-Unis, il a été observé sur un site que de l’uranium et du radon radioactifs avaient été drainés. Des métaux lourds peuvent être présents dans les argiles.
Correct. Et certains de ces éléments peuvent être très nocifs en faibles concentrations comme l’arsenic par exemple, fréquent dans les sulfures des schistes. Le lessivage des roches-mères est un problème fondamental à évaluer.
Le risque de sismicité induite : La fracturation hydraulique crée dans la plupart des cas des microséismes de très faibles amplitudes, ne créant pas de danger en surface. Néanmoins des séismes ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels au Texas et en Arkansas, non pas en lien avec la fracturation hydraulique, mais en raison de la réinjection d’eaux usés dans le sous-sol. Au Royaume-Uni, en 2011, deux séismes de faible magnitude pourraient être liés à la fracturation hydraulique, dans un puits d’exploration de la région de Blackpool.
Exact mais on peut se demander quel seraient les séismes engendrés par la fracturation induite par les liquides froids (propane, helium, azote, encore appelée "extraction exothermique") qui est due par le passage rapide de l’état liquide à l’état gazeux (l’hélium augmente de 700 fois en volume lors de ce passage).
Les nuisances locales associées aux travaux d’exploration et d’exploitation : emprise au sol, impact sur les paysages, passages de camions.
On estime que la réalisation d’un puits de recherche (avec drain horizontal et fracturations) nécessite entre 900 et 1 300 voyages de camions. Ces nuisances sont cependant temporaires (6 à 18 mois).
Il faudrait cependant ajouter qu’il faut plusieurs puits par km2 et qu’il faut refaire de la fracturation tous les 5 ou 6 ans étant donné que la production de gaz chute très rapidement après la première année. Ces nuisances sont donc temporaires mais répétitives surtout vu le nombre de puits nécessaire.
Le bilan de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur le climat est l’objet de controverses. Aux États-Unis, l’usage croissant du gaz, en lieu et place du charbon et du pétrole, pour produire de l’électricité, a permis une réduction des émissions de CO2. Entre 2006 et 2011, on a observé une diminution des émissions liées à la production d’électricité de 8 %. La part croissante du gaz naturel n’en est pas seule responsable puisque les énergies renouvelables et les centrales nucléaires ont également contribué à remplacer charbon et pétrole. Si, en termes de combustion, le gaz naturel produit moins de CO2 que le charbon, les fuites de méthane lors de la production, du transport et de l’utilisation du gaz pourraient avoir un impact négatif en matière climatique. En effet, sur un siècle, le méthane a eu un effet sur le changement climatique 25 fois plus important que le CO2. Les experts auditionnés nous ont confirmé qu’à ce jour aucune étude à ce sujet n’était complètement probante.
Exact, les émissions fugitives de méthane (= non contrôlée, = fuites) ne sont pas à négliger. Le gaz de schiste est meilleur pour le climat que le charbon à partir du moment où ces émissions fugitives sont <2%. Au-delà, son effet est plus important. L’estimation exacte de ces émissions fugitives aux USA n’existe pas encore. Au moins localement, elle peuvent être importantes comme la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, USA) l’a montré pour l’Utah et le Colorado (4 à 9% !). Voir une récente discussion équilibrée sur le sujet par EDF (Environmental Defense Fund !).
2. Maîtriser les risques sans céder à l’immobilisme : la recherche de techniques alternatives
Les techniques de production des hydrocarbures non conventionnels ne sont pas figées mais, au contraire, évolutives.
a) La fracturation hydraulique : une technique qui évolue rapidement
Le débat sur les conséquences environnementales de la fracturation hydraulique est vif tant en Europe qu’aux États-Unis et au Canada. Il a conduit, dans la plupart des pays, à une réflexion sur les moyens de limiter les risques grâce à des réglementations et à des contrôles destinés à modifier les pratiques.
Aux États-Unis, en réponse à des cas de contamination d’eau potable, les compagnies procédant à des fracturations hydrauliques ont été contraintes de communiquer la composition de leur fluide de fracturation. Les études actuellement menées par l’EPA1 doivent aboutir à une réglementation plus respectueuse de l’environnement. Les États américains se sont eux aussi saisis de ces questions environnementales, l’État de New-York ayant par exemple imposé un moratoire.
Environmental Protection Agency
L’un des enjeux de cette réglementation est la limitation du nombre d’additifs chimiques utilisés dans les fluides de fracturation. L’industrie a développé l’utilisation de produits alimentaires (tels que le haricot de guar) et envisage l’usage de produits biodégradables ou d’autres techniques, tels que des rayons UV qui viendraient se substituer aux biocides utilisés pour désinfecter le fluide de fracturation.
L’impact sur les paysages peut être réduit en regroupant plusieurs puits à partir d’une seule plateforme de forage (qui pourrait héberger plus de quinze puits).
Le nombre de camionnages peut également être réduit, si l’on parvient à diminuer les quantités d’eau nécessaire, ou si l’on utilise d’autres techniques de fracturation à partir de fluides moins volumineux.
De façon plus générale, les procédés de fracturation évoluent : Schlumberger a, par exemple, développé une technique de fracturation « avec canaux » qui consommerait significativement moins d’eau que la fracturation classique.
Vos rapporteurs entendent examiner l’ensemble des voies d’amélioration de la fracturation hydraulique, esquissées lors de leurs premières auditions.
b) La recherche de nouvelles techniques de fracturation
La plupart des techniques de substitution à la fracturation hydraulique ne sont pour le moment qu’au stade de la R&D. Tous les experts auditionnés par vos rapporteurs sont d’avis qu’elles ne pourront être employées avant au minimum une décennie.
Il s’agit notamment :
de l’électro-fissuration, consistant à fissurer la roche sous l’effet d’un courant électrique ;
de la fracturation thermique par modification de la température de la roche-mère ;
de la fracturation par injection d’un fluide autre que l’eau, tel que du CO2 supercritique (employé à titre expérimental par Chevron dans le cadre du procédé dit CRUSH), ou encore de l’hélium, de l’azote ou d’une « mousse » (émulsion stable eau/gaz).
Ces techniques présenteraient l’avantage de ne pas nécessiter d’eau. Elles devraient permettre de diminuer le nombre d’additifs employés (sauf dans le cas de la mousse), une partie de ces additifs servant à empêcher la sédimentation du sable dans l’eau, ce qui ne deviendrait plus nécessaire.
La seule technique alternative à la fracturation hydraulique réellement opérationnelle à ce jour est la fracturation au propane, employée en Amérique du nord par les entreprises GasFrac et eCorp.
Le propane est utilisé depuis 40 ans dans le cadre de la production conventionnelle. Injecté sous forme de liquide ou de gel, il est récupéré sous forme gazeuse. Cette technique présente l’intérêt de limiter voire supprimer le recours à des agents chimiques. En outre, le propane peut être recyclé et réutilisé presque intégralement. Les volumes à gérer seraient moindres que pour la fracturation hydraulique, réduisant d’autant le besoin de transport en surface. Les risques industriels associés sont ceux inhérents à l’usage de gaz naturel (risque d’explosion).
Comme dit plus haut, il s’agit aussi de fracturation hydraulique même si une partie est pneumatique. La "technique au propane" n’est d’ailleurs pas qualifiée ici. Ceci dit, il est vrai que des différences existent entre la fracturation à l’eau et au propane. Avec avantages et inconvénients qui demandent à être précisés.
CONCLUSION
La technique interdite par la loi du 13 juillet 2011, à savoir la fracturation hydraulique, a déjà beaucoup évolué depuis lors. Il s’agit d’une technique ancienne qui évolue aujourd’hui rapidement sous l’effet de considérations environnementales de plus en plus partagées.
En outre, une technique alternative opérationnelle existe : il s’agit de la fracturation au propane, qui mériterait un plus ample examen.
Voir remarque juste plus haut et au début du rapport sur la fracturation au propane et autres gaz à température ambiante injectés sous leur forme liquide.
D’autres technologies sont envisagées en recherche et susceptibles d’aboutir à des applications d’ici une dizaine d’années.
Les auditions préliminaires réalisées par vos rapporteurs confirment donc pleinement l’intérêt de la saisine de la commission des affaires économiques du Sénat.
Un simple ajustement des termes de cette saisine est suggéré : il s’agit de remplacer les termes « gaz de schiste » par ceux d’« hydrocarbures non conventionnels », pour les raisons évoquées plus haut.
Il est donc proposé de poursuivre l’étude ainsi engagée, sous l’intitulé suivant :
« Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels »
S’agissant du programme de travail vos rapporteurs suggèrent l’organisation d’une audition ouverte à la presse, qui permettra de mieux faire connaître les techniques employées pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, les évolutions de ces techniques au cours des années récentes ainsi que leurs perspectives pour les années à venir.
Point important : cette étude se fera en toute transparence et permettra donc une meilleure information de l’élu et du citoyen, ce qui est très positif.
Vos rapporteurs suggèrent, en outre, de se rendre en Amérique du Nord où le retour d’expérience de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels est le plus grand. Aux États-Unis, de même qu’au Canada, les préoccupations environnementales ont conduit à un réexamen du cadre réglementaire et des modes de production de ces hydrocarbures. Enfin, c’est en Amérique du Nord que des techniques alternatives sont d’ores et déjà expérimentées (stimulation au propane).
En Europe, le pays le plus avancé sur la voie de l’exploration de son potentiel en hydrocarbures non conventionnels est la Pologne. C’est pourquoi nous envisageons de nous y rendre, ainsi éventuellement qu’au Royaume-Uni, si cela se révélait utile après un examen plus approfondi.
Enfin, vos rapporteurs proposent d’inscrire leur étude dans un calendrier qui lui permettrait d’apporter une contribution au débat national sur la transition énergétique.
CALENDRIER PROPOSÉ POUR L’ÉTUDE
Février-Mai 2013 : réalisation d’auditions complémentaires par les rapporteurs (pouvoirs publics, entreprises, associations environnementales), consultation des partenaires sociaux
Avril 2013 : audition ouverte à la presse en salle Lamartine (Assemblée nationale)
Printemps 2013 : examen par l’Office d’un rapport d’étape
Juin à septembre 2013 : déplacement en Amérique du Nord (États-Unis, Canada), en Pologne et, éventuellement, au Royaume-Uni.
Automne 2013 : examen par l’Office du rapport final.
Rapport original au format PDF :